43.
« …Le même implant cérébral que Wallace Cunningham. »
Fincher regarda son malade.
— Désolé, cette opération coûte très cher. Dans cet hôpital, on me réduit chaque jour un peu plus les crédits. A mon avis, les responsables de l’administration préfèrent donner de l’argent pour les prisons car cela permet de rassurer ainsi le « bourgeois-contribuable-électeur ». Les fous, on préfère les oublier.
L’œil de Martin brilla. Il se livra à sa gymnastique oculaire.
« Et si je trouve les moyens d’enrichir cet hôpital ? »
Le médecin se pencha sur son malade et lui murmura à l’oreille :
— De toute façon, je n’ai pas le savoir-faire. Toute trépanation est délicate. La moindre petite erreur peut avoir des conséquences importantes.
« Je suis prêt à prendre le risque. Êtes-vous d’accord pour m’accorder cette intervention si je me débrouille pour transformer cet hôpital en entreprise prospère ? »
A l’instant où Samuel Fincher donnait son accord, il restait pourtant dubitatif.
Jean-Louis Martin ne pouvait exprimer par son visage sa conviction, mais il inscrivit le plus rapidement qu’il put :
« Rappelez-vous, Samuel, vous m’aviez dit que vous vouliez aller plus loin dans les réformes. Je suis prêt à vous aider. »
— Vous ne vous rendez pas compte de la difficulté à faire bouger les choses, ici.
« Ce n’est pas parce que c’est difficile qu’on ne le fait pas, c’est parce qu’on ne le fait pas que c’est difficile. Je suis sûr qu’il y a déjà eu des réussites mais on les a oubliées. Faites-moi confiance. »
Le neuropsychiatre cligna de l’œil, en signe d’assentiment.
Jean-Louis Martin le regarda quitter la pièce et espéra être à la hauteur de son défi.
Il envisagea le problème sous tous ses aspects. Il chercha d’abord des exemples dans l’histoire.
Dans l’Antiquité, chez les Grecs, on jetait à la mer, lors d’une cérémonie, les idiots du village pour expier les péchés de la communauté. Au Moyen Age, on tolérait l’« idiot » du village mais on jugeait et on brûlait comme sorciers ceux qu’on estimait possédés.
En 1793, alors que la Révolution française mettait en ébullition les rues de Paris et que soufflait un vent de changement dans tous les secteurs de la vie sociale, le docteur Philippe Pinel, un jeune médecin, ami de Condorcet, devint directeur de l’hôpital de Bicêtre, le plus grand asile de fous de France. Il découvrit là le statut des aliénés de l’époque. Enfermés dans des cellules sombres, quand ce n’était pas dans des cages d’un mètre carré, battus, enchaînés toute leur vie, les fous étaient traités comme des animaux. Pour les calmer on leur faisait des saignées, on les plongeait dans des bains glacés, on les forçait à avaler des purgatifs. Après qu’on eut détruit la prison de la Bastille, Philippe Pinel proposa de profiter de l’ère nouvelle pour ouvrir également les asiles d’aliénés. Au nom de la liberté, l’expérience fut tentée. Jean-Louis Martin raconta l’histoire de Philippe Pinel à Samuel Fincher et lui proposa de poursuivre plus loin l’expérience de ce révolutionnaire.
— Qu’est-il arrivé ensuite ?
« Les libérés de Pinel ont réclamé pour la plupart d’être réintégrés dans les hôpitaux. »
— Donc c’a été un échec.
« Philippe Pinel n’était pas allé assez loin. Que les aliénés soient dehors ou dedans ne change rien, ce qui importe c’est ce qu’ils font. Pinel revendiquait le fait que les fous sont des humains normaux. Non, ils ne sont pas normaux, ils sont différents. Il faut donc non pas les « normaliser » mais les confirmer dans leur spécificité. Je suis certain qu’on peut transformer les handicaps des malades en avantages. Oui, ils sont dangereux, oui, certains sont suicidaires, intolérants, nerveux, destructeurs, mais c’est cette énergie négative qu’il faut inverser pour la transformer en énergie positive. L’énergie inépuisable de la folie. »